Georges Peignot

En avant !

EN CRIANT A SA SECTION : “EN AVANT !”, le 28 septembre 1915, Georges Peignot a reçu une balle en plein front et s’est effondré pour un mois dans la glaise picarde du no man’s land. Dans ces étendues désolantes balayées par la mitraille et visitées la nuit par les détrousseurs de cadavres, on n’a pu identifier sa dépouille que le 27 octobre. Ses frères André (1914) et Rémy (1915) sont déjà morts. Le dernier, Lucien, devenu le plus intime, mourra en juin 1916. Les quatre frères qu’une profonde amitié unissait ont participé dans leur mort généreuse à la disparition des élites dynamiques de la France. Ils seront remplacés après-guerre par les planqués, les couards, les malvenus, les profiteurs, qui se donneront d’autant plus d’importance qu’ils n’auront pas à lutter pour s’imposer faute de concurrence.

En seize ans de gérance, Georges Peignot a transformé une grosse fonderie de blancs en la première Fonderie de caractères de France. Grasset, Auriol, Bellery-Desfontaines, Cochin, Garamond, Naudin, il a créé sans relâche à une époque où les autres copiaient. En voulant toujours une typographie et non un alphabet il a imposé dans la création de caractères la notion d’ensemble typographique permettant les mises en pages harmonieuses (caractères complémentaires et ornements). Avec l’aide précieuse de Francis Thibaudeau il a lancé sur le marché commercial des caractères d’imprimerie un Specimen et des plaquettes d’une qualité artistique inégalée, forçant ainsi le respect pour la beauté de ses caractères. Assurance-maladie, caisse de retraites, congés payés, ce patron de droite aimait ses ouvriers qu’il savait enthousiasmer pour les causes qu’il leur confiait.

Louis Barthou, ancien Président du Conseil, écrit en 1916 à propos de Georges Peignot : “apprécier son intelligence active et ouverte, impatiente d’initiatives, la droiture de son caractère ferme et loyal, sa passion frémissante et réfléchie pour le noble métier auquel il avait voué sa vie”.

Georges Lecomte, directeur de l’École Estienne, dit en juin 1918 de Georges et Lucien : “Les frères Peignot avaient conquis l’affectueuse estime de tous les industriels du Livre, imprimeurs et éditeurs, des artisans et ouvriers de la profession, des amateurs de belles éditions, des écrivains attentifs à la manière dont on les imprime” Ils étaient venus en 1914 lui présenter les Cochins et il se souvient de : “leur ton de simplicité grave et de satisfaction très modeste, (…) d’une amabilité raffinée mais sans artifice”.