Claude Garamond
Destin d’un graveur & d’un fondeur de caractères
NÉ À PARIS vers la fin du XVème siècle, Claude Garamond a appris son métier en étant l’élève d’Antoine Augereau, un graveur de caractères parisien qui s’était reconverti au métier de libraire et d’imprimeur. Ce dernier fut fameux pour avoir grandement contribué à éliminer des presses parisiennes les caractères gothiques en usage à l’époque, en utilisant exclusivement pour ses impressions, les trois corps de caractères romains qu’il avait lui-même gravé.
Les premiers caractères
Les premiers caractères de Garamond qui nous soient connus sont les trois corps de Romain qu’il grava pour Robert Estienne au début des années 1530 : un gros Romain, un gros Canon et un saint-Augustin. Fin 1531, Garamond avait encore achevé un saint-Augustin étroit. En 1533, il donna un cicéro de style nettement plus aldin. Ces caractères servirent pour la première fois à la composition d’une série de livres religieux, imprimés à Paris, chez Claude Chevallon. C’est chez cet imprimeur que Garamond travaillait et vivait dans les années 1530.
En 1540, Garamond passa contrat avec Pierre Duchâtel, conseiller et aumônier de François Ier : il s’engagea à lui fournir les poinçons des trois sortes de caractères d’un Grec aux frais de Robert Estienne dont ce dernier fit usage pour ses éditions grecques, à partir de 1543. Pour dessiner ces Grecs du Roi, Garamond s’inspira de l’écriture du célèbre calligraphe crétois Ange Vergece, « notre écrivain en grec » comme l’appelait François Ier. Aujourd’hui, les poinçons et les matrices, classés Monuments historiques sont toujours conservés à l’Imprimerie nationale.
Du Romain au métier d’imprimeur
Toutefois, sa fortune, Garamond la fit pour des caractères romains, dont il était devenu le principal producteur français et dont la qualité était reconnue dans l’Europe entière. S’il faut en croire la préface qu’il écrivit en 1545 dans son édition de la Pia et religiosa meditatio de David Chambellan, ce métier n’était pourtant pas vraiment lucratif : « Je retirais vraiment peu de profit de mon travail qui est de sculpter et de fondre les types de lettres (...) Ceux qui savent seulement tailler les lettres ne progressent guère (...) Ils construisent le nid des libraires, ils leur apportent leur miel. »
Il s’essaya alors au métier d’imprimeur, en association avec Jean Barbé et son beau-père l’imprimeur Pierre Gaultier, mais au bout de deux ans, l’expérience tourna court. Il avait eu le temps de publier un Juvencus, imprimé avec des fontes romaines inspirées directement de celles réalisées pour Robert Estienne, ainsi que divers ouvrages, dont certains ont été composés partiellement en Italique (Histoire des successeurs d’Alexandre le Grand, extraits de Didon de Sicile, Thucydide, etc.).
Histoire des successeurs d’Alexandre le Grand, 1545
L’atelier de Claude Garamond
L’atelier de Garamond était de taille modeste. Il travaillait avec un petit nombre d’apprentis, auxquels il n’apprit pas son art de graveur mais le métier de fondeur : en 1543, entra à son service pour trois ans, le fils d’un marchand, bourgeois de Paris, de 1551 à 1555, c’était le fils d’un marchand tavernier qui venait s’initier à « l’estat de fondeur de lettres », en 1557, un orphelin, originaire de Saint-Quentin, se plaçait pour serviteur et apprenti pendant cinq ans. L’année suivante, Paterne Robelot, fils d’un vigneron de Sens, devint apprenti chez Garamond pour cinq ans. Ces contrats d’apprentissage répétés dans la période 1550-1561, date de la mort de Garamond, sont le signe indéniable de l’essor que connaissait l’atelier du célèbre graveur.
A partir de 1550, Claude Garamond retailla ses poinçons de lettres romaines et surtout italiques, ces dernières d’après les caractères de Simon de Colines. Jean de Gagny, le chancelier de la Sorbonne, l’encouragea dans cette voie nouvelle en lui conseillant de créer une nouvelle Italique. Par la suite l’Italique ne fut que peu usitée, et il n’est guère que Simon de Colines pour avoir tenté de la rendre populaire en France. La mode dans l’Italique, des capitales inclinées, ne fut lancée que plus tard.
Il développa également ses activités de fondeur et assura la diffusion des types qu’il avait créés, en multipliant matrices et caractères. Après un premier mariage avec la fille du fondeur et imprimeur Pierre Gaultier, déjà cité, il épousa en secondes noces, Ysabeau Le Fèvre, dont un frère était marchand à Cluny et un autre prêtre, licencié en théologie. Par cette alliance, il devint propriétaire d’une maison, rue Saint Denis et de quelques quartiers de vignes. Si Garamond semble avoir eu d’abord quelques difficultés à vivre de son métier de graveur, le succès de ses caractères assura la prospérité de son atelier.
Destin des caractères de Garamond
Les fontes de Garamond ont été les premières à être commercialisées. Son italique semble avoir plus de valeur encore que son romain. Entre 1541 et 1556, plusieurs imprimeurs-fondeurs lui achetèrent des matrices. Vers la fin des années 1540, il s’associa avec Guillaume Le Bé, un autre graveur de poinçons qui s’était fait une grande réputation à Venise. Installés rue des Carmes, Le Bé tailla pour la fonderie des lettres hébraïques et une « lectre fort artistement faicte et bien limée et polie (sans vantise) et au contentement de celui qui en sçavait plus que moi ».
Après sa mort en 1561, ses exécuteurs testamentaires, Guillaume Le Bé et André Wechel, achetèrent une partie de son matériel. Mais la plupart des matrices et des poinçons furent par la suite acquis par Christophe Plantin d’Anvers, et Jacques Sabon, un fondeur de Francfort. L’Imprimerie royale récupéra également, par l’intermédiaire de son directeur, Cramoisy, les fontes Garamond que possédaient la fonderie Le Bé.